À l’occasion de la Journée mondiale de la traduction (JMT), la FIT a organisé son deuxième webinaire de l’année, le plus populaire à ce jour avec 850 inscriptions, notamment grâce à la qualité des interventions. L’assistance a posé trop de questions pour que nous puissions toutes les aborder, aussi invitons-nous nos hôtes à y répondre dans Translatio. La première à se prêter à l’exercice est Cristina Valentini, responsable de l’unité de terminologie à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).
Alison Rodriguez : Bonjour, Cristina. Merci d’avoir participé au webinaire de la JMT. Les échanges vifs ont balayé de larges perspectives. Les retours sont excellents.
Cristina Valentini : Merci de votre invitation à cet événement, effectivement passionnant.
AR : Passons directement aux questions de l’assistance. D’abord, comment les outils d’IA sont-ils utilisés dans le travail terminologique ?
CV : Tout le potentiel des outils d’IA reste encore à explorer dans le domaine de la gestion terminologique, il est donc important de s’en emparer.
Les outils modernes d’IA contribuent largement au travail terminologique, car ils renforcent l’efficacité et ouvrent de nouvelles possibilités. À l’OMPI, l’adoption précoce de l’IA, notamment la traduction automatique neuronale (TAN), a montré sa valeur dans la proposition d’équivalents multilingues. Par exemple, WIPO Pearl, notre portail terminologique, affiche les termes validés ainsi que des équivalents issus du moteur de traduction automatique maison, WIPO Translate.
La qualité de la TAN s’améliore considérablement : 1. si les données d’entraînement sont de qualité, c.-à-d. si le modèle s’entraîne sur des traductions humaines ; 2. si ces données relèvent d’un domaine de connaissance précis, à savoir des textes relevant dudit sujet.
L’apprentissage supervisé facilite aussi le travail terminologique comme l’enrichissement des cartes conceptuelles, ces représentations graphiques des liens entre les concepts d’un domaine spécifique, dans WIPO Pearl. Depuis 2017, la fonction de nuages conceptuels affiche les relations entre les concepts suggérées par un algorithme d’apprentissage automatique supervisé, entraîné sur le corpus des contextes et des relations validés manuellement qu’inclut le portail.
De plus, les outils d’IA générative, qui exploitent les grands modèles de langage (LLM), montrent du potentiel pour des tâches importantes comme l’extraction de termes, la désambigüisation sémantique et la détection de synonymie. Leur utilisation prometteuse reste expérimentale, ses atouts étant encore peu étudiés par rapport aux extracteurs de termes et aux corpus constitués par des personnes.
AR : Comment la terminologie peut-elle aider les traducteurs et traductrices à rester dans la course ? Est-elle utile pour utiliser les outils d’IA ?
CV : À l’ère de l’automatisation, les traducteurs et traductrices qui s’intéressent à la terminologie acquièrent des compétences essentielles. En comprendre les principes est utile, voire indispensable, pour entraîner les nouvelles technologies d’IA, particulièrement l’IA générative, et s’en servir.
Se former à la terminologie arme les traducteurs et traductrices de compétences clés. Leurs connaissances en linguistique s’en trouvent approfondies, notamment en sémantique et en morphologie ; leurs capacités à tirer des conclusions utiles des données observées s’améliorent – un savoir-faire essentiel pour interagir efficacement (rédiger des requêtes) avec l’IA ; leur faculté à s’orienter dans l’océan d’informations auquel toute personne est exposée et à distinguer les sources fiables des douteuses se renforce.
La terminologie s’oppose par nature à l’IA générative. Elle étudie, collecte et organise les termes pour leur utilisation homogène par l’humain et la machine. Elle documente leur usage dans des sources authentiques et de référence afin de trouver le meilleur pour un concept et une langue donnés. Et comme en journalisme et en histoire, il faut toujours vérifier rigoureusement ses sources.
Par contraste, les outils fondés sur les LLM, efficaces pour collecter et présenter les informations, manquent parfois de transparence dans leur logique, leur raisonnement et leurs justifications. Contrairement aux réponses éphémères non reproductibles de l’IA générative, le travail terminologique vise à créer des ressources documentées, fiables et durables.
AR : Quel rôle l’OMPI joue-t-elle dans la formation terminologique et le développement des compétences ?
CV : Plusieurs initiatives promeuvent la diffusion des connaissances et compétences terminologiques, notamment la formation continue de ses équipes de traduction. L’OMPI offre aussi aux titulaires d’un diplôme récent de master un programme de bourses. Les candidatures, invitées chaque année dès janvier, sont acceptées de tout pays. L’organisation œuvre avec des universités du monde entier à diffuser et enseigner la théorie de la terminologie et de la propriété intellectuelle, notamment dans des langues et cultures qui n’enseignent pas traditionnellement la terminologie. Ainsi, étudiants et étudiantes peuvent collaborer et réaliser leur mémoire de master ou leur projet d’étude dans leur parcours en traduction spécialisée ou technologie de la traduction en profitant d’une téléformation en autonomie et des retours de spécialistes. Leurs termes validés sont publiés dans WIPO Pearl et leur université est nommée.
L’OMPI contribue aussi à la normalisation terminologique via ISO/TC 37 et a un protocole d’accord avec la FIT pour promouvoir ensemble les connaissances en terminologie. En écho à ce partenariat continu, l’OMPI accueillera le XXIIIe Congrès mondial de la FIT en septembre 2025. Nous avons hâte de vous rencontrer en nombre !
AR : Merci pour votre temps, Cristina. Rendez-vous l’an prochain au Congrès de la FIT à Genève !
Pour en savoir plus sur le XXIIIe Congrès mondial de la FIT, rendez-vous sur www.fit2025.org.
Les universités intéressées par une collaboration avec l’OMPI peuvent contacter : wipopearl@wipo.int.
Alison Rodriguez, présidente de la FIT